• des anges et des templiers

     

     Les bâtisseurs de Dieu

    Opération de «magie collective» pour la reconquête des lieux saints, les croisades ont favorisé l’essor des cathédrales gothiques dans tout l’Occident. Fondé sous l’impulsion de saint Bernard de Clairvaux, l’ordre des Templiers a versé son sang sur les champs de bataille des croisades et protégé les bâtisseurs de cathédrales, auxquels il a confié de nouveaux savoirs.


     

     

    exemple du savoir-faire des artisans de l’art gothique: la rosace de la cathédrale de Chartres (S. Abramovicz)

    Pourquoi, comment, s’est-il trouvé, tout à coup dans l’Occident chrétien, des «dompteurs» de pierre comme on n’en avait jamais vu depuis les pyramides? D’où tenaient-ils leur savoir d’initiés? Combien de générations de maçons et de tailleurs de pierre faudrait-il, aujourd’hui, pour produire des maîtres capables de réaliser l’équivalent des cathédrales de Chartres ou d’Amiens?
    On objectera que ce phénomène, unique dans l’histoire de l’architecture, est aussi une question de «mode». Le propre de l’architecture n’est-il pas de s’adapter à l’esprit de son temps? En témoigne l’œuvre du dernier bâtisseur de cathédrales, le Tessinois Mario Botta, concepteur de celle de la Résurrection à Evry, près de Paris (1995). Pour lui, l’architecture moderne ne s’applique pas qu’aux supermarchés, mais aussi aux églises, aux mosquées et synagogues…

     

     Mystérieux bâtisseurs

    Des bâtisseurs de jadis ont laissé leurs signatures, sur des poutres ou des pierres. On connaît des noms d’architectes et de maîtres d’œuvre, pour Amiens, mais pas pour Chartres… Le fait est que l’on sait peu de choses sur l’origine de ces constructeurs, sur le savoir-faire dont ils ont été les dépositaires.
    Ils étaient réunis en confréries, fraternités. Ou compagnonnages, un mot qui vient de «compas», leur outil de prédilection, et signifie aussi «qui partage le même pain».
    Les confréries les plus connues avaient pour nom les Enfants du père Soubise, les Enfants de Maître Jacques ou les Enfants de Salomon. Elles ont aujourd’hui pour héritiers les Compagnons des devoirs du Tour de France. Certains d’entre eux ont gardé une tradition initiatique et morale de savoir-faire et de «chevalerie de métier» en refusant, par exemple, de construire des forteresses et des prisons, leur œuvre étant dévolue aux hommes libres. La cathédrale, dans cette éthique, apparaît paradoxalement comme un édifice laïc, au sens originel du terme, car construit pour l’âme du peuple et non pour la gloire des seigneurs.
    De saint Louis, ardent croisé, les bâtisseurs de cathédrales obtinrent des franchises royales qui en firent des «maçons francs». C’est dire la reconnaissance et l’estime dont ils jouissaient. Ces privilèges, le roi Philippe le Bel, dans son acharnement pour anéantir les Templiers, les supprima sèchement…

     

     

     

     Sous protection templière

    En effet, les bâtisseurs de cathédrales furent pourchassés lors du procès des chevaliers du Temple, leurs protecteurs. Si bien que beaucoup disparurent, signe de leur inclusion dans l’ordre, d’autres entrant dans la clandestinité.
    La cathédrale de Chartres a dû être construite par les Enfants de Salomon, qui édifièrent la majorité des autres grands sanctuaires gothiques, comme Amiens et Reims. Les bâtisseurs étaient très liés aux Templiers, qui les avaient instruits et pris sous leur protection. Et on peut remonter plus loin. Car ces constructeurs puisent leurs origines dans les écoles initiatiques de l’ancienne Egypte.
    L’art gothique, en tout cas, prospère en même temps que l’ordre du Temple. Et il déclinera avec lui, de même que l’art du vitrail, tel que splendidement pratiqué à Chartres, lorsque l’ordre sera brisé, au terme d’un des procès les plus scandaleux de l’histoire.

     

     Mythes et Templiers

    La Chevalerie des pauvres chevaliers du Christ du temple de Salomon occupe une partie importante de la mythographie médiévale. Nés d’un temple à Jérusalem et morts sur les bûchers parisiens, condamnés par un pouvoir royal en pleine création, contre leur propre pouvoir et celui du pape, les Templiers ont rempli l’imaginaire des siècles suivants. Pauvres chevaliers maniant des fortunes, ils ont nourri la littérature historique et ésotérique. Ainsi, plusieurs auteurs, dont Louis Charpentier (Mystères de la cathédrale de Chartres et des Mystères templiers) ou Patrick Rivière sont convaincus que les Templiers, qui ont versé leur sang sur les champs de bataille des croisades, étaient les «dépositaires des Arcanes majeurs de la tradition primordiale», connaissances qui leur ont permis d’instruire les bâtisseurs.
    Ainsi, les premiers Templiers auraient occulté leur mission officielle de défenseurs des routes pèlerines pour se livrer à d’intenses fouilles (neuf ans!) dans le temple de Salomon à Jérusalem et y auraient trouvé l’Arche d’alliance, réceptacle des Tables de la Loi. Des objets non pas «magiques», mais porteurs de lois mathématiques régissant l’univers. La clé, en quelque sorte, du progrès humain. Ramenés secrètement en France pour être mis en lieu sûr, ces objets auraient été contemplés par quelques initiés, dont saint Bernard de Clairvaux, le phare spirituel de l’Occident. Mais il n’existe aucune preuve de cela… Une absence qui participe au mystère des Templiers.

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     Bases d’une civilisation

    C’est au retour de ces neufs Templiers, tous connus, qu’a été promulguée, en 1128, la règle de l’ordre du Temple lors du Concile de Troyes, convoqué sous l’impulsion du même saint Bernard. Dès lors, l’ordre se développe d’une façon extraordinaire. Il organise un solide système d’économie publique, protège cultures et récoltes, sécurise routes et transport, crée la lettre de change. Les Templiers se muent en trésoriers.
    Ce sont eux qui payeront l’énorme rançon pour libérer saint Louis, fait prisonnier en 1250 en Egypte. Eux, encore, qui financent les chantiers des cathédrales et qui prêtent des sommes faramineuses à Philippe le Bel, qui prend peu à peu ombrage de la puissance grandissante de cet état dans l’Etat. Accusés d’hérésie, les Templiers, dont leur grand maître Jacques de Molay, périssent sur le bûcher en 1314.

      

     Dans la foulée de Cluny

    Richissime, l’ordre du Temple avait réussi à poser les fondements d’une nouvelle civilisation. Les cathédrales, dans la mystique de saint Benoît puis de saint Bernard, en étaient la dimension spirituelle, l’aboutissement du long labeur élaboré à l’abbaye de Cluny, où ont été établies les fondations de la civilisation chrétienne occidentale. Plus de 1300 monastères se rangeront en effet sous la règle clunisienne. Et c’est de Cluny, aussi, qu’est issu le pape Urbain II, qui prêchera la première Croisade.
    Parfaitement organisés, les Templiers avaient assuré le nécessaire vital, le blé, l’outil, l’argent. Avec les cathédrales, ils ont donné au peuple la clé de l’éveil spirituel qui lui manquait. Pour agir sur la pierre, il fallait des constructeurs initiés à certaines lois, à l’instar des constructeurs de dolmens sacrés et des pyramides d’Egypte.
    C’est si vrai que, sept siècles plus tard, lorsque des compagnons travaillèrent sous les ordres de l’architecte et restaurateur de cathédrales Viollet-le-Duc (1814-1879), ils s’effarèrent, raconte Louis Charpentier, «de ce que le moindre choc sur certaines pierres provoquait des ondes sonores comme on en obtient sur des ressorts tendus ou sur des cordes d’instruments de musique».
    Le Temple anéanti, la civilisation idéalisée se transforme. On ira jusqu’à dénigrer le gothique et s’enticher d’art classique antique. Restent les pierres et leur mémoire. Aux XVe et XVIe siècles, le gothique, sur le déclin, devient flamboyant. Des «flammes» architecturales hautement symboliques: on donne dans la surenchère de dentelles de pierres, on répète obsessionnellement courbes et contre-courbes, on démultiplie les nervures dans les voûtes. On assiste à un tumulte plastique qui ne traduit plus la mission fonctionnelle et mystique de l’art gothique, mais la douloureuse inquiétude spirituelle des temps.

     


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