• la bien vaillante tante arie fée ou sorcière ou la vraie mère noël ?

        

    
      
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    Pendant plusieurs siècles, dans le Nord de la Franche-Comté, plus particulièrement dans le canton de

    Montbéliard, une femme, mi-fée, mi-sorcière, fut vénérée au moment de Noël. Il s'agit de la Tante

    Arie, dite aussi Fée Arie ou Tantairie.

    Les origines de "Arie" sont incertaines. Pour certains, il s'agirait d'une prêtresse druidique, la dernière

    fille des druides. "Arie" viendrait de l'adjectif latin "Aéria" (aérienne), la fée des airs. Elle se

    rapprocherait alors de l'épouse de Jupiter, surnommée "Aéria", présidant, comme lui, à l'air. D'autres

    font un rapprochement avec les personnages de la mythologie germanique, "Arie" venant de "Heer",

    "hari", "Heri", rappelant la Vro (Frau) Harre, Harren.

    Toutefois, pour la plupart, Tante Arie serait la réincarnation de Henriette de Montfaucon, comtesse de

    Montbéliard au 15e siècle. "Arie" est en effet le diminutif de Henriette. Or, la comtesse était une

    femme énergique ; maniant les armes à la perfection, elle protégeait ses sujets, tout comme Arie.

    Dans l'imagination populaire, cette idéologie prédomine sur la mythologie.

    Qui fut alors cette fée, très présente dans les esprits franc-comtois tout au long de l'année, et plus

    encore à Noël, période durant laquelle elle semblait se substituer au Père Noël ?

     

     

    caverne de tante arie dans le doubs 

     UNE VIEILLE FEMME DANS UNE CAVERNE

    Tante Arie est une vieille femme aux cheveux argent, mais à l'allure juvénile. Elle est, selon les

    légendes, de taille gigantesque. Edgar Coulon rapporte qu'à "Hérimoncourt, elle pose un de ses pieds

    sur le Mottrot, l'autre sur les Vieilles-Vignes, deux collines espacées de plus de quatre cent mètres".

    Tante Arie se caractérise également par ses dents de fer, la couronne de diamants qu'elle porte

     

     

    parfois sur la tête et ses pattes d'oie. Ce dernier signe distinctif aurait été découvert par une famille de

    Réchésy qui, voulant connaître son lieu d'habitation, répandit des cendres sur son lieu présumé de

    passage. Le lendemain matin, ils y découvrirent des empreintes en forme de pattes d'oie !

     

     

    Autre point caractéristique de Tante Arie : elle ne se déplace jamais sans son âne, qu'elle monte selon

    certains, qu'elle suit selon d'autres. Lorsqu'elle n'a plus besoin de lui, afin d'économiser ses forces,

    elle le transforme en broche pour sa cape.

    D'un point de vue vestimentaire, "Arie" est très différente des autres fées. Elle

    ne dispose en effet d'aucune baguette magique, et ne revêt jamais de

    somptueuses tenues. En été, elle porte le "diairi", le chapeau des

    Montbéliardaises, une jupe courte dite "frileuse", et chausse des souliers à

    boucles. En hiver, elle s'emmitoufle et s'encapuchonne dans une grande

    pèlerine. Elle fait alors davantage penser à une grand-mère.

    Ces vêtements lui permettent ainsi de résister au froid de son habitat. En effet, "Arie" logerait, selon

    les légendes, dans l'une des grottes suivantes :

    - la grotte de la Combe Noire, au sud du Blamont.

    - la roche dite de la Faira, à proximité de Beurnévesin.

    - "sous la terre qui sonne", à Etobon.

    - la grotte de la chaîne du Lomont.

    - la grotte de Milandre, creusée sous la roche qui porte les ruines de la tour du même nom, près de

    Boncourt.

    D'une grotte à l'autre, les légendes diffèrent. Ainsi, à Etobon, lorsqu'Arie fait boire son âne à la

    fontaine, elle est perçue comme étant la comtesse Henriette de Montbéliard. A Boncourt et à Delles,

     

     

    elle se métamorphose en "vouivre" pour se baigner dans des bassins d'eau claire. Tantôt sa broche

    (son âne) se transforme en escarboucle, tantôt l'escarboucle est représentée par la pierre précieuse

    qui brille sur son front. Daucourt rapporte également que la Fée Arie peut se transformer en serpent.

    Les pans de sa chemise représentent pour beaucoup des flocons de neige. Et elle disposerait d'un

    coffre rempli d'or.

    Si les légendes divergent autour de Tante Arie, personne ne met en doute ses qualités morales.

    UNE FÉE BIENFAISANTE

    Tante Arie est perçue comme une "fée au front serein, au coeur aimant, à la main libérale et

    caressante" (Croyances et traditions populaires recueillies dans la Franche-Comté, le Lyonnais, la

    Bresse et le Bugey / Désiré MONNIER, Aimé VINGTRINIER. Henri Georg, 1874. "La Tante Arie",

    p.43-46.). Elle se caractérise par sa bienveillance, son courage et sa bonté.

    Tante Arie est une ménagère laborieuse. Elle file sa quenouille sans jamais s'arrêter, montrant ainsi

    l'exemple aux jeunes filles. Présente à leurs veillées, elle promet des dons à la meilleure fileuse. La

    plus appliquée reçoit d'elle comme mari un homme vertueux et une bourse pleine d'or. Par ailleurs,

    elle punit les plus paresseuses en mêlant leurs quenouilles le jour de carnaval

     Tante Arie cuit également son pain et lessive son linge. Elle ne sort de chez elle, accompagnée de

    son âne, que pour visiter les fours à pains et les maisons hospitalières. Dans ces lieux, elle veille à

    l'ordre, au travail et à l'économie. Si les habitants se montrent hospitaliers, propres, ordonnés,

    travailleurs et économes, elle leur apporte alors des bienfaits. Arie a ainsi prêté son âne à une pauvre

    veuve qui avait vu périr le sien ; elle a recueilli dans sa grotte du Lomont un voyageur égaré mourant

    de froid, l'a réconforté, lui a servi un bon repas et l'a remis sur la route. Il lui arrive également de

    cuisiner des gâteaux pour les paysans aux champs, de terminer l'ouvrage des brodeuses fatiguées...

    De manière générale, elle donne aux plus pauvres le courage de supporter leurs pénibles conditions

    de vie, mais s'indigne de l'ingratitude de ceux qu'elle a contenté.

    La protection de Fée Arie est d'autant plus importante qu'on lui offre des dons. Ainsi, Arie est

    heureuse de découvrir devant sa caverne du pain et du lait ; la jeune fille en quête d'un galant ou d'un

    mari la sollicite en lui offrant une branche de gui.

    Arie représente également une fée pour les enfants. Quiquerez rapporte

    qu'à Beurnévesin et à Réchésy, on interdisait aux enfants de passer près de

    la caverne de la Faira "parce que la fée, qui avait des dents de fer, prenait

    les marmots, les mettait à califourchon sur son cou, leur tendait ses grandes

    mamelles pendantes pour les régaler de son lait, s'ils avaient été sages, ou

    bien les jetait à la rivière, s'ils se trouvaient méchants" ("La Fée Arie" / A.

    QUIQUEREZ. In, Actes de la société jurassienne d'émulation, 1879, p.141-

    147.). Plus généralement, il est dit que Tante Arie se penche sur le lit des

    enfants la nuit, leur recommandant d'être sages et studieux. S'ils l'écoutent,

    elle les récompense avec des cadeaux ; sinon, elle les punit avec une verge

    trempée dans du vinaigre.

    Arie est généralement vénérée : les adolescents aiment à s'identifier à elle, le temps d'une fête. Ainsi,

    "pendant la semaine qui précède Noël, les jeunes gens et les jeunes filles, déguisés en tante Arie et

    masqués, vont distribuer aux enfants apeurés des noix et des pommes. Généralement, on leur offre

    alors un petit verre d'eau-de-vie ou une tasse de café, dans l'espoir de les voir se démasquer" (selon

    un document inédit découvert à Clairegoutte). Pourtant, Tante Arie peut effrayer : après le coucher du

    soleil, on n'ose plus s'approcher de sa caverne ; elle sert d'épouvantail aux enfants criards ; elle peut

    jeter la malédiction du feu sur une maison.

    Ces craintes ne sont toutefois que passagères. Au moment de Noël, les avis sont unanimes : Tante

    Arie, distributrice de cadeaux, est appréciée de tous les enfants.

     

    UNE DAME NOËL EN FRANCHE-COMTE

    Au 19e siècle, le pasteur Roy fait de Tante Arie une distributrice de cadeaux. "Elle est chargée, aux

    fêtes de Noël, d'apporter les étrennes destinées au jeune âge. Elle arrive sous divers déguisements,

    s'introduisant tantôt par la cheminée, tantôt par quelque fenêtre entr'ouverte ou quelque porte entrebaîllée

    ou d'autres manières encore, tenant en main les cadeaux (vouèques, craquelins, noix, gâteaux,

    fruits divers, etc.) destinés aux enfants sages et dociles. Elle est aussi armée de verges pour les

    paresseux et les désobéissants. Les enfants n'oublient pas de placer sur la fenêtre ou de déposer sur

    l'âtre le sabot où la tante Arie doit laisser son présent." "La fée protectrice de l'enfance n'apparaît

    jamais aux regards des mortels. Elle approche montée sur son âne dont elle fait sonner de loin la

    clochette, et l'on peut entendre sa voix, qui prend des intonations différentes selon qu'elle est plus ou

    moins satisfaite ou mécontente de ses petits amis. A côté du sabot se trouve toujours une poignée de

    foin dont la bourrique fait sa pâture tandis que sa maîtresse s'occupe à la besogne. Celle-ci a avec

    elle une provision d'oreilles d'âne, dont une paire est destinée à chaque enfant sur le compte duquel

    elle possède des renseignements défavorables." (Us et coutumes de l'ancien pays de Montbéliard et

    en particulier de ses communes rurales / Charles ROY. Imprimerie Barbier, 1886. P.198-201).

    L'âne de Fée Arie est chargé de deux lourdes hottes chargées de présents, et porte autour du cou

    une clochette. Le tintement de la clochette annonce leur arrivée. Toutefois, alors que les enfants

    luttent afin de rester éveillés, espérant enfin voir Arie, ce son les fait sombrer dans le sommeil, de

    sorte qu'ils ne la voient jamais. A leur réveil, Arie a disparu, et les cadeaux (des friandises ou des

    jouets) sont à leur place, dans le sabot, pour la plus grande joie de chacun. Car en effet, Tante Arie ne

    prive jamais un enfant de cadeaux. Elle se contente de menacer les enfants désobéissants de ne rien

    leur laisser l'année suivante, ou leur laisse, à côté des cadeaux, des verges trempées de vinaigre ou

    des bonnets d'âne, en signe d'avertissement.

    Afin d'entretenir ces bonnes grâces de Fée Arie, dans chaque foyer, on prépare dans les chambres un

    petit autel pour chaque enfant. Le nombre de cierges disposés sur chaque autel correspond à l'âge de

    l'enfant. Garni également de bonbons et de gâteaux à l'intention de la fée, l'autel préfigure notre sapin

    de Noël. La botte de foin à disposition de l'âne est une autre des attentions portées par les familles à

    Arie.

    Les régions d'intervention de Fée Arie sont, selon les auteurs qui s'y sont intéressés, assez limitées.

    - En Haute-Saône, elle interviendrait à Clairegoutte et Hérimoncourt.

    - En Territoire de Belfort, elle serait attendue à Châtenois et Réchésy.

    - Dans le Doubs, elle traverse Montbéliard et son canton, et Blamont.

    - Les habitants de Bongol, Charmoille et Boncourt, dans le Jura Bernois, attendent sa venue.

    - Arie parcourt également quelques villages des Franches-Montagnes : Beurnévesin, Epauvillers et

    Les Bois.

    Par ces interventions à Noël, mais également tout au long de l'année, Tante Arie, qui n'a pourtant

    aucune équivalence dans la mythologie, ressemble à quelques personnages mythologiques.

    - Comme Frau Holle, elle vit dans une caverne, travaille le pain, récompense les bons et punit les

    méchants.

    - La fée allemande Berchta punit elle aussi les mauvaises fileuses.

    - Comme Saint-Nicolas, patron des enfants, Arie protège ces derniers.

    - La reine Berthe traverse, comme Arie, le pays en filant...

    Tante Arie ne semble pas descendre d'une divinité, mais bien davantage être une création autonome.

    "La figure de Tante Arie, légèrement contradictoire, reste un problème de mythologie difficile à

    résoudre." (Glossaire des patois de la Suisse romande / L. GUACHAT. Tome premier. V. Attinger,

    1924. "Arie", par TAPPOLET, p.608-609.) Personne ne peut dater précisément son apparition, alors

    que sa disparition est constatée par Célestin Hornstein. Selon lui, à la fin du 19e siècle, Tante Arie

    n'existe plus, même dans la mémoire du peuple. Les fées "ne daignent plus se révéler à nous avec

    leurs bonnes grâces d'autrefois. Nos moeurs nouvelles les ont éloignées en détruisant le prestige qui

    les entourait et en dépopularisant ces gracieuses fictions qui faisaient la joie de notre première

    enfance. Nous ignorons l'époque précise de la substitution de Saint-Nicolas à la Tante Arie, mais quoi

    qu'il en soit, le souvenir de la bonne fée était encore vénéré en Ajoie du temps de la grande

    Révolution." ("La Saint-Nicolas dans le Jura" / Célestin HORNSTEIN. In, Actes de la société

    jurassienne d'émulation, 1889, p.235-236.)

    Aujourd'hui, Tante Arie semble avoir ressuscité dans nos mémoires. Bien que

    ce soit le Père Noël qui distribue les cadeaux la nuit du 24 décembre, certaines

    municipalités de Franche-Comté font revivre la légende. Ainsi, le Musée du

    Jouet lui a consacré une exposition en 1997. A cette occasion, petits et grands

    ont été invités à dessiner Tante Arie telle qu'ils se l'imaginaient. Tante Arie est

    également réapparue dans le contexte des animations de "Noël au Pays du

    Jouet" en 2000. Et surtout, chaque année, à Montbéliard, Arie apparaît du 1er

    au 24 décembre, dans le cadre du marché de Noël.

     

     

     

     

    POUR EN SAVOIR PLUS
    Traditions populaires : les mois en Franche-Comté / Charles BEAUQUIER. Paris, 1900. "Décembre",
    p.136-137.
    Contes et légendes du Pays comtois / André BESSON. 1997.
    Contes et légendes du Pays de Montbéliard : "la tante Arie" / Alfred FOCT. Ed. Rayot-Depoutot.
    Franche-Comté, pays des légendes / Gabriel GRAVIER. Tome 1. Ed. Marque-Maillard. "La tante Arie",
    p.86-89.
    Glossaire des patois de la Suisse Romande / L. GUACHAT. Tome premier. V. Attinger, 1924. "Arie",
    par TAPPOLET, p.608-609.

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