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     La Loge d'Orient (La Loge-Lionne), Aube, France

    24 mai 1136 - 22 h

    Deux personnes assistaient aux dernières heures d'Hugues de Payns, fondateur et premier grand maître de l'Ordre des Templiers. En ce jour de l'Ascension, un autre évènement se préparait en ce lieu retiré du monde. Depuis sa création, l'Ordre du Temple avait connu une croissance exponentielle. Les donations étaient importantes et de nombreux chevaliers avaient rejoint l'Ordre. Ils avaient ainsi permis à cette nouvelle milice, comme l'avait appelée Bernard de Clairvaux, de prendre la première place sur la scène des relations entre l'Orient et l'Occident. Plusieurs ordres militaires et religieux avaient été mis sur pied depuis la prise de Jérusalem en 1099 et la tradition occidentale avait depuis longtemps donné le jour à des ordres comme l'Ordre de la Licorne d'Or, l'Ordre de Malte, l'Ordre des Chevaliers de Tau… mais les Templiers se distinguaient visiblement par une adhésion massive depuis près de vingt ans. Le soutien du futur saint Bernard n'y était certes pas étranger, mais était-ce la seule raison pour laquelle un engouement sans précédent conduisait des nobles à devenir simples chevaliers ?1

    A l'âge de 66 ans, Hugues de Payns avait choisi de quitter le monde des vivants dans la quiétude. Loin des fastes que l'ordre commençait à affectionner, son fondateur se retrouvait avec ses plus proches amis qui avaient choisi de rester dans l'ombre. Mais plus que des amis, il s'agissait de réunir la Communauté intemporelle du Laurier. Compagnon de Terre Sainte dont la rencontre remontait à la première mission d'Hugues en Orient, Mohamed Ibn Touloun se tenait aux côtés de Mélusine. De Mohamed, l'histoire ne retiendra que son lointain ancêtre, fondateur de la dynastie des Toulounides qui avait régné sur l'Égypte à la fin du IXe et au début du Xe siècle. De Mélusine, des légendes se bâtiront par Gervais de Tilbury2 puis, quelques siècles plus tard, avec les poètes Jehan d'Arras et Couldrette qui en feront une fée aux multiples visages...

    Hugues de Payns était allongé sur une couche sobre. Il avait préparé sa succession matérielle avec Robert de Craon afin de rendre fluide cette passation. Ce dernier avait déjà fait ses preuves en matière d'organisation au sein de l'Ordre. Les statuts imposaient une élection mais celle-ci devait finalement entériner ce qui avait été mis en place auparavant. Serein face à son destin, le grand maître réfléchissait à sa vie et à ce qu'il avait entrepris depuis sa rencontre avec Bernard de Clairvaux.

    Mais plus que sa propre vie, le grand maître contemplait ce qui était le bien le plus précieux à ses yeux. Une épée forgée en Terre Sainte à partir d'un objet beaucoup plus ancien dont les origines se perdaient dans la nuit des temps… Posée contre le mur de pierre, en face du lit, l'épée brillait par les lumières des chandeliers posés sur la table en bois. Un léger courant d'air faisait osciller les flammes des bougies. Les reflets donnaient ainsi une vie à la lame polie.

    - Mes amis, pensez-vous qu'elle doive être transmise au sein de l'ordre ? demanda alors Hugues, rompant le silence.

    - Nous le pensons, en effet, répondit Mélusine. Nous en avons longuement discuté et même si l'ordre du Temple semble s'écarter de ce que nous attendions de lui, il n'en reste pas moins le meilleur dépositaire aujourd'hui.


     

    Village de Payns (photographie : Philippe Contal, octobre 2006)


    - Village de Payns -
    (photographie : Philippe Contal, octobre 2006)

    Les longs cheveux noirs de Mélusine soulignaient ses traits fins. Elle s'était retirée des affaires publiques depuis plusieurs années. Officiellement décédée, Mélusine jouissait d'un exceptionnel degré de liberté.

    - Que de chemin parcouru depuis notre première rencontre en Terre Sainte, rappela-t-elle.

    - Voici plus de trente ans que nous nous oeuvrons ensemble. Votre premier voyage avec le comte de Champagne nous avait alors permis de reconstituer notre communauté après le décès de votre prédécesseur. L'arrivée des Chrétiens à Jérusalem avait alors ôté tout espoir d'un rapprochement entre l'Orient et l'Occident. Et pourtant, contre toute attente, ce sont des chevaliers chrétiens qui prirent le relais de notre mission.


    Mohamed s'exprimait calmement, avec une voix tranquille mais ne laissant généralement pas de place ni au doute ni à la contestation. Il avait été de nombreuses fois confronté à la haine primaire de certains Chrétiens mais sa maîtrise du combat armé ou non lui avait toujours permis de s'en sortir sans heurt. Profondément humaniste, il avait rejoint la Communauté du Laurier bien avant sa rencontre avec le futur fondateur des Templiers. Malgré son âge avancé, il était toujours présent et oeuvrait comme Mélusine dans l'ombre des grandes organisations visibles en Orient comme en Occident.

    Les représentants des religions avaient depuis très longtemps été écartés de cette mission de sauvegarde. Les croyances exclusives avaient pris le pas sur la tolérance religieuse. Les " dieux uniques " avaient remplacé les dieux aux multiples facettes. Autour de la Mer Méditerranée, les anciennes religions avaient laissé la place à trois courants s'opposant militairement sous prétexte que la vérité était seulement le privilège d'un seul. Ce désordre qui avait connu son apogée à la suite de la déstructuration de l'Empire Romain ne semblait pas toucher à sa fin.

    - Nous remettrons l'épée à Robert de Craon ce soir, reprit Mélusine. En attendant, nous devons procéder à notre rituel.

    - La deuxième partie de notre trésor est-elle bien protégée, demanda le grand maître ?

    - N'ayez crainte, le choix que nous avions effectué ensemble voici plusieurs années se révèle pertinent. Les bons chrétiens auxquels nous avons confié la graine sont garants de sa sécurité. Nous les avons rencontrés voici quelques semaines aux confins des Pyrénées. Ils se structurent actuellement et ont l'appui des pouvoirs seigneuriaux en place. Leur fidélité aux préceptes évangéliques leur donne une image très appréciée en Terre d'Oc. Le seul risque réside dans l'ombre qu'ils pourraient créer à Rome… mais nous n'en sommes pas là.


    Mohamed parcourait l'Europe et le Proche-Orient depuis de longues années. Le plus souvent de manière discrète, voyageant de nuit afin d'éviter les rencontres inopportunes. De la chaleur des déserts aux neiges éternelles, il ne se lassait pas d'admirer ce que la nature offrait aux hommes. Regrettant sans fin que ceux-ci n'en prennent conscience qu'occasionnellement, il conservait néanmoins cette utopie humaniste que l'Homme serait un jour capable de sortir de son état de somnolence spirituelle.

    Mélusine prit l'épée et la déposa sur le lit sur lequel reposait Hugues. Ce dernier posa les mains sur la garde. Mélusine et Mohamed se placèrent de chaque côté, les deux mains au-dessus de la lame, paume ouverte vers le bas.

    Dans un silence surnaturel, les trois amis se recueillirent, les yeux fermés. Plusieurs minutes passèrent quand l'épée fut enveloppée d'une lumière orangée. Ténue puis de plus en plus soutenue, la lumière prit une forme rectangulaire allongée barrée de quatre lignes plus fines en son sommet. L'épée redonna ainsi la vie à un symbole dont les origines remontaient à plusieurs millénaires. La lumière des chandelles s'effaçait devant la luminosité qui émanait de l'épée.

    Soudain, la lumière s'éteignit, plongeant la pièce dans une relative pénombre. L'épée avait repris son aspect d'origine. Elle brillait cependant d'une énergie qu'elle n'avait pas connue depuis sa fabrication, vingt ans plus tôt. D'un matériau que la magie rendait unique, l'épée avait été forgée selon les méthodes de feuilletage. Lame de Damas dont les propriétés dépassaient de loin tout ce que la métallurgie pouvait permettre de réaliser, elle était surtout l'un des deux éléments qui constituaient l'Unique, le pouvoir absolu. Conservé pendant des siècles dans le temple d'Abydos, le vase primordial représentait, avec son contenu, ce qui pouvait changer le monde. Mais comme tout outil ou arme, ce pouvoir prenait l'orientation du bien ou du mal en fonction de son utilisation… et de son utilisateur. Trois personnes avaient été chargées depuis des temps immémoriaux de protéger ce trésor. Source d'une puissance infinie, il semblait préférable de le cacher. Un jour peut-être… l'humanité serait suffisamment sage pour en faire un usage bénéfique.

     

    Vue de Damas (extrait du livre ''La chevalerie et les croisades'', d'après les grands ouvrages de M. Paul Lacroix, 1887)


    - Vue de Damas -
    (extrait du livre "La chevalerie et les croisades", d'après les grands ouvrages de M. Paul Lacroix, 1887)


    L'épée avait été forgée selon les méthodes ancestrales. Le matériau qui avait traversé les siècles avait ainsi été recouvert de plusieurs couches de différents aciers. Conservant ses propriétés magiques mais protégé par ce laminage, le vase conservait sa fonction de contenant. La graine qui était auparavant conservée dans la coupe devait désormais être placée dans le pommeau de l'épée. Mais aujourd'hui, seule l'épée était entre les mains du grand maître des Templiers. Peu après la prise de Jérusalem par les Chrétiens, il avait semblé opportun de scinder l'objet magique en deux parties complémentaires.

    - Hugues, il est temps pour nous de nous retirer. Auparavant, nous devons remettre l'épée à votre successeur. Etant désormais instruit de notre mission et ayant reçu de sa part son engagement à nous aider, il sera le nouveau maillon de la chaîne.


    Rompant le silence, Mélusine avait également reposé l'épée contre le mur.

    - Il ne devrait plus tarder. Je l'avais prévenu de votre passage.


    En effet, trois coups firent résonner la lourde porte en bois. Robert de Craon fit son entrée dans la pièce et salua ses compagnons. La Communauté du Laurier prenait ainsi un nouveau visage, conservant son œuvre millénaire de préservation…

     http://www.khetemet.com/legendeChapitre06.aspx


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  • Commentaires

    1
    charlene59
    Lundi 16 Août 2010 à 23:24
    bel article! Robert Charroux s'était intéressé aussi à cette histoire
    2
    cieletenfer Profil de cieletenfer
    Lundi 16 Août 2010 à 23:41
    oui charroux était un visionnaire mais nous le retrouverons dans bien d'autres ouvrages qui mènent à d'autres enquêtes scientifiques plus discutables mais pas des moindre car il y à lieux de s'interroger
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