• quand la vie retrouve son chemin

     

    Tchernobyl aujourd’hui. Naturalisation d’une catastrophe.

    Mardi 15 mars 2011
    Par Yoann Moreau

    Dans un article paru récemment1 Pascal Rueff, artiste sonore, fait le récit de sa confrontation sur 4 ans (de 2006 à 2009), avec le site de Tchernobyl. Il montre avec brio comment le site s’impose en silence, par l’invisible et le mutisme2.

    À Tchernobyl aujourd’hui  il n’y a rien à voir, rien de particulier, rien de spécifique à écouter, rien de précis à saisir. Et cela à tel point que Rueff ne parvient pas à distinguer ce qui relève de la Zone : « Nous y étions et nous ne le savions pas ».

    La catastrophe a déjà eu lieu. Maintenant elle fait partie du décor, elle est devenue une ambiance qui – étant donné la durée de vie du plutonium 2393, tend à devenir permanente. L’ambiance devient l’ambiant, la catastrophe devient matrice. Comme l’écrit Pascal Rueff à très juste titre : « La nature de la Nature a changé ici ». C’est cette ultime remarque que je vais tenter d’éclaircir.

     http://culturevisuelle.org/catastrophes/2011/03/15/tchernobyl-aujourdhui-naturalisation-dune-catastrophe/

     

    Les modifications environnementales consécutives à l’explosion du réacteur nucléaire sont extrêmement durables. Ce qui sur le moment a fait événement tend, au fil du temps, à générer une nouvelle norme. Les taux de radioactivité, sans communes mesures par ailleurs, tendent ainsi, peu à peu, à devenir la normalité de ce nouveau terroir. De fait, si l’on en croit les informations rapportées ici et , la Zone semble devenue propice à l’épanouissement d’une partie de “la vie sauvage”4: les chevaux de Przewalski, ainsi que les loupssont les exemples les plus notoires. La Zone se mue en niche écologique spécifique, où se reproduit une vie sous haut taux de radiation.

    Peu à peu l’exception devient donc la règle (pour l’écosystème qui compose avec ces nouveaux taux de radioactivité) et la norme (pour ce nouveau type de terroir). Autrement dit, il faut bien reconnaître que la catastrophe (l’exception, l’événement) devient génèse (l’instauration d’une nouvelle norme, d’une nouvelle modalité du vivant). Tchernobyl est en passe, avec le temps, de devenir un milieu original qui, malgré  ses hauts taux de rayonnements, demeure propice à la vie. C’est une matrice environnementale singulière empreinte d’une histoire dramatique (comme la majorité des genèses environnementales). Le site de Tchernobyl, en redevenant stable, redevient donc habitable. Quand bien même les taux de radioactivité y sont exceptionnellement élevés, c’est leur relative constance qui rend le site habitable. Le fait que seules les insectes et les espèces migratoires (les oiseaux et les hirondelles en particulier) subissent les effets de la radioactivité de la Zone, tend à confirmer mon hypothèse : ce sont les variations brutales qui sont néfastes à la vie, cette dernière a des capacités d’adaptation exceptionnelles et se déploie même en condition extrêmes. La Zone contaminée par l’explosion de Tchernobyl devient donc un terroir et non plus un désert sans vie.  La catastrophe initiale montre déjà qu’un jour elle deviendra genèse.

    En termes phénoménologiques catastrophes et genèses sont, de fait, quasiment identiques. Ces deux catégories de phénomènes suivent en effet des processus très similaires. Elles sont de vastes bouleversements qui, à terme, auront favorisé ou maltraité la vie (et notamment la vie humaine). C’est l’histoire à venir, le futur qui leur confèrera (ou non) leur statut de désastre ou de renouvellement. Tchernobyl ce n’est pas du passé, ce ne le sera que dans plusieurs  milliers d’année. C’est de l’advenir dans toute son incertitude, et avec lequel il s’agit de composer.

    Catastrophe en 1986, sans aucun doute possibles, Tchernobyl se normalise et naturalise donc peu à peu. La vie s’adapte (tant bien que mal) aux nouveaux taux de radioactivités. C’est, après 20 ans, ce que laisse présager les données collectées sur le terrain et présentées dans le documentaire Tchernobyl : une histoire naturelle ? (Bamas & Riolon, 2009).

    De ces nouveaux mondes post catastrophes, nous n’avons progressivement plus rien à dire en termes d’événement. C’est à cela que fut confronté Rueff, tout comme les nombreux touristes qui écument régulièrement le site. Ils observent la catastrophe uniquement via leurs compteurs Geiger, c’est-à-dire en comparant le taux d’activité nucléaire avec une norme qui n’a plus cours.

    Car la catastrophe redéfini la normalité. Dès lors, rien de sensible ne l’indique de manière contemporaine. L’extraordinaire est devenu la norme. À Tchernobyl le taux de radioactivité dit “normal”, c’est de l’histoire ancienne, c’est révolu et obsolète. La Zone, comme le dit Rueff, est « un nouveau pan de réel »  (Rueff, 2010, p. 25). Il n’y a plus grand chose à en dire, plus d’images à en extirper et plus de tonalités particulières à écouter résonner. La catastrophe est en passe de devenir la norme, elle a généré une Zone où la vie s’accommode. Comme si de rien n’était. La forêt rouge qui avait été “liquidée” repousse bel et bienverte.

    La catastrophe perd peu à peu son caractère d’événement au profit de celui d’avènement. Ce fut une catastrophe, c’est en passe de devenir une genèse. Tchernobyl génère un nouveau pan de monde, une Zone où le taux de radioactivité est renormalisé.  La vie qui, durant quelques deux cent mille ans, devra composer avec cette activité nucléaire, sera adaptée à ce nouveau “climat” radioactif. Les conditions de vie qui y règnent diffèrent de celles des autres régions du monde et imposent une pression sur l’écosystème, au même titre que dans n’importe quel milieu extrèmes (déserts, pôles, hautes altitudes, fonds marins, etc.).Comme toutes les formes de vie qui se déploient en milieu extrême, la niche écologique, il est impossible dans sortir sans périr. L’adaptation à l’extrême crée en effet une dépendance radicale au milieu. La vie qui se déploiera dans la Zone ne pourra pas en sortir sans traumatisme.

    Tchernobyl forme ainsi un nouveau milieu. Ce dernier a son volcanisme propre (un réacteur sous sarcophage friable,endormi et non éteint), ses poussières qui ne veulent plus redevenir poussières, mais aussi sa faune et sa flore qui, en dépit de toute attente, vivent (plutôt bien) sous la mitraille nucléaire. C’est une donnée environnementale. Le 26 avril 1986, il y a donc eu catastrophe et – aussi – amorce de la genèse d’un “terroir atomique” qui aura mis une vingtaine d’année à s’initier.

     

    et pour en savoir un peu plus  http://culturevisuelle.org/catastrophes/2010/05/27/tchernobyl-nature/


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  • Commentaires

    1
    reineroro
    Lundi 16 Mai 2011 à 10:17
    Comme certains liens sur la vidéo sont "cassés" je remet celui ci http://www.mystere-tv.com/la-nature-apres-tchernobyl-v928.html qui fonctionne.
    2
    cieletenfer Profil de cieletenfer
    Lundi 16 Mai 2011 à 10:56
    merci reineroro
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